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Ahlem Hannachi - Docteur en droit
6 mars 2016

La déchéance de nationalité-Dictature constitutionnelle ou état d'exception permanent inscrit au coeur du droit?

 

Ahlem Hannachi

Docteur en droit

 

Mots clés : Déchéance de nationalité ; Etat d’exception ; droit pénal de l’ennemi ; vie nue ; Homo Sacer.

.

Introduction

« L’Etat continue à exister tandis que le droit s’évanouit »[1]

« Aucun sacrifice n’est trop grand pour notre démocratie, moins que jamais le sacrifice temporaire de la démocratie elle-même »[2].

Pour des raisons de sécurité, le président François Hollande s’est résolu à inscrire la déchéance de nationalité dans son projet de révision constitutionnelle. Cette mesure concerne les binationaux terroristes nés en France. De facto, cette résolution nous renvoi à la problématique de l’état d’exception, qui a toujours générée de vives discussions, concernant particulièrement le bien fondé des moyens juridiques et la portée philosophique utilisés.

En un premier sens, c’est une « affirmation » par laquelle on déclare vrai que l’état d’exception a perdu son caractère d’urgence et commence à devenir en réalité, la normalité[3]. Giorgio AGAMBEN a déjà problématisé une série d’interrogations qui n’ont pas été traitées dans le champ juridico-philosophique.

Il s’agit de la systématisation d’un droit pénal de l’ennemi[4] qui présente, en quelque sorte, le symptôme dont les réflexions de Giorgio AGAMBEN trouvent un réel écho dans l’actualité. En effet, c’est à partir d’une scission conceptuelle entre citoyen et ennemi, que Günther JAKOBS a créée deux droits pénaux, un adressé aux citoyens– avec toutes les garanties et droits constitutionnellement protégés-, l’autre destiné aux ennemis, à qui serait conféré un traitement de guerre. Ces derniers ne disposent pas du statut de “personne” en droit[5], ils sont condamnés sans procès, et par conséquent, ne bénéficient pas des droits et des garanties assurés par la Constitution. Incontestablement, la création d’un droit pénal de l’ennemi par Günther JAKOBS a permis l’admission de l’existence d’une “duplicité” permanente et immanente dans l’ordre juridique, admettant le fonctionnement simultané d’un Etat de droit et d’un Etat d’exception. Mais, attendu que le droit pénal de l’ennemi, serait ainsi, une urgence installée – paradoxalement, de manière continue – au “cœur” de l’ordre juridique, la déchéance de nationalité ne serait que l’expression d’une stratégie politique (une biopolitique) selon laquelle l’individu devient à travers l’état d’exception une vie nue : un Homo Sacer.

Est-il question d’associer l’Etat totalitaire à l’Etat de sécurité ? ou de dépolitiser les citoyens ? Ou de mobiliser la population par la peur contre un ennemi étranger qui ne leur soit pas seulement extérieur (c’étaient les juifs en Allemagne en 1933, ce sont les musulmans en France aujourd’hui)[6]?

Pourtant, le Code civil à travers les articles 25[7] et 25-1[8] énonce que l'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride. Mais, le gouvernement socialiste à travers le projet d’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution tente comme l’affirme Giorgio AGAMBEN d’introduire un élément impolitique, qui consiste à permettre une conception absolument inégalitaire des races et des peuples, laquelle opère une distinction entre le citoyen, l’étranger et l’ennemi[9]. De plus Giorgio AGAMBEN considère que la déchéance de nationalité pour les citoyens binationaux, est un « sinistre projet » qui rappelle la loi fasciste de 1926 sur la dénationalisation des « citoyens indignes de la citoyenneté italienne » et les lois nazies sur la dénationalisation des juifs[10].

L’auteur souligne « un renoncement intégral à l’établissement de la certitude judiciaire dans les comptes rendus des crimes terroristes »[11]. Pour lui il s’agit « d’un Etat de droit dans lequel un crime ne peut être certifié que par une enquête judiciaire, sous le paradigme sécuritaire, on doit se contenter de ce qu’en disent la police et les médias qui en dépendent – c’est-à-dire deux instances qui ont toujours été considérées comme peu fiables. D’où le vague incroyable et les contradictions patentes dans les reconstructions hâtives des événements, qui éludent sciemment toute possibilité de vérification et de falsification et qui ressemblent davantage à des commérages qu’à des enquêtes. Cela signifie que l’Etat de sécurité a intérêt à ce que les citoyens – dont il doit assurer la protection – restent dans l’incertitude sur ce qui les menace, car l’incertitude et la terreur vont de pair ».[12]

Aujourd’hui en France comme en Allemagne jadis, et conformément à la théorie de Günther JAKOBS, le gouvernement socialiste français est-il entrain de légitimer un droit pénal de l’ennemi face à l’impérativité du texte constitutionnel français qui garantit l’universalité des droits de l’homme? Sommes nous entrain d’installer l’exception au cœur de la normalité, devenant indiscernable l’une de l’autre? Le discours juridico-constitutionnel est-il suffisant aujourd’hui pour empêcher l’avancée effroyable du droit pénal de l’ennemi?

Walter Benjamin, dans sa huitième thèse Sur le concept de lhistoire[13], affirme que l’état d’exception cherche à être une exception permanente pour devenir la condition de la règle, ouvrant, selon Giorgio AGAMBEN, la possibilité de repenser l’état d’exception non seulement comme une technique de gouvernement, par opposition à l’idée d’être une mesure extrême, mais aussi comme un élément constitutif de l’ordre juridique[14]. La problématique n’est pas nouvelle si nous considérons les mesures prises comme, par exemple, en USA le Patriot Act, adopté en 2001, qui confère à l’exécutif une série de pouvoirs, y compris, celui d’annuler le statut juridique du “combattent ennemi” (un être juridiquement innommable et inclassable), dans une sorte de dictature hors la loi et du contrôle judiciaire, purement factuelle, comparable seulement au statut des juifs durant le nazisme[15].

L’état d’exception représente ainsi un point de déséquilibre entre le juridique et le politique, une frange ambiguë et incertaine,un seuil d’indétermination entre démocratie et absolutisme[16], dont le problème central est la signification juridique d’une action en soi extra juridique[17]. S’agissant de la suspension de la norme -bien qu’elle n’est pas abolie-, la zone d’anomie instaurée n’est pas dépourvue de connotation juridique. Il s’agit en définitive, d’une “zone d’indistinction” dans laquelle l’intérieur et l’extérieur ne s’excluent pas, mais s’indéterminent[18].

Néanmoins la tentative la plus sévère pour construire une théorie de l’Etat d’Exception est venue de Carl SCHMITT. Son objectif fondamental était, selon Giorgio AGAMBEN, la description de l’état d’exception dans un contexte juridique. Mais, il s’agit d’une description paradoxale, dans la mesure où il y a une prétention d’inscrire dans le droit quelque chose d’extérieur à lui; quelque chose qui ne signifie rien d’autres que la suspension de l’ordre juridique lui-même[19].

Toutefois, le conducteur fondamental, dans l’œuvre de Carl SCHMITT « Politische Theologie » qu’il prétend concrétiser pour réaliser un lien difficile entre l’état d’exception et le champ juridique est la distinction entre deux éléments: la norme [Norm] et la décision [Entscheidung, Dezision]. Même dans le cas de la suspension de la norme, l’état d’exception maintiendrait intact, de manière absolue, un élément juridico-formel: la décision. Les deux éléments, norme et décision, réalisent ainsi l’autonomie recherchée. Par conséquent, l’espace topologique de l’état d’exception, sera un être-dehors et,en même temps, un être-dedans[20]. A partir de cette distinction, il est possible de voir apparaître une fissure entre la norme et son application. Selon Carl SCHMITT, l’état d’exception exprime le moment d’une grande opposition entre la validité formelle du droit et son application réelle. Dans cette zone extrême, les deux éléments font apparaître leur cohésion interne[21].

C’est à ce moment que Giorgio AGAMBEN, pour contourner la conception de Carl SCHMITT, se réfère aux réflexions de Jacques DERRIDA exprimées dans son séminaire “Force  de loi: le fondement mystique de l’autorité[22]. En effet, la force de loi serait différenciée techniquement de la simple efficacité. Mais, bien que cela ne révèle pas la production d’effets juridiques, la force de loi, en revanche, signifierait la position de la loi en relation avec d’autres actes de l’ordre juridique, dotés d’une force supérieure à elle (par exemple, la Constitution) ou inférieur (par exemple, les Décrets). Mais, ce qui est décisif, est par conséquent le fait que le syntagme “force de loi”, se réfère techniquement, non à la loi elle-même, mais aux décrets que le pouvoir exécutif peut, dans certains cas décréter, avec - comme l’affirme l’expression même de “force de loi”-. En d’autres termes, il existe une séparation entre l’applicabilité de la norme et son essence formelle, dans la mesure où les décrets, bien qu’ils ne fassent pas formellement partie du pouvoir législatif, gagnent une “force” exceptionnelle[23].

De ce fait théoriquement, l’essentiel dans l’état d’exception n’est pas la confusion entre les pouvoirs, le législatif et l’exécutif, mais la séparation entre la loi et la “force de loi”. Cette force est isolée, et elle définit un cadre dans lequel la loi formelle, bien qu’elle soit toujours en vigueur, n’est pas applicable ; et, d’autre part, les actes non-législatifs acquièrent en conséquence une “force” identique[24]. Il s’agit d’un espace anomique, puisque ce qui est en jeu est une “force de loi sans loi”, ou, comme l’a développé Giorgio AGAMBEN, une “force de loi”. Or, si nous utilisons les expressions aristotéliciennes “pouvoir” et “acte”, ils apparaîtront ici radicalement séparés par une sorte d’élément mystique, une fiction dans laquelle le droit s’attribut sa propre anomie[25].

Si nous observons la tradition des opprimés comme l’affirme BENJAMIN nous constatons que l’‘état d’urgence’ dans lequel nous vivons aujourd’hui était toujours la règle, il se réalise à travers un concept de l’histoire qui lui correspond. C’est quelque chose que Carl SCHMITT n’a pas admis, parce que lorsque l’exception devient la règle, la machine ne peut pas faire fonctionner l’exception et la règle en même temps, par conséquent, la machine devient indiscernable. Il n’y aurait pas seulement une zone d’anomie, mais aussi une violence qui agit à l’intérieur de cette anomie sans couverture juridique. Cependant, selon Giorgio AGAMBEN, la tentative du pouvoir étatique de s’ancrer dans une anomie à travers l’état d’exception sera identifiée par BENJAMIN comme une tentative constitutionnelle ; par conséquent, c’est dans cet espace d’anomie entre norme et application, que se conçoit le droit pénal de l’ennemi.

C’est dans cette perspective, que la notion de “personne”, chez Günther JAKOBS, devient un concept normatif[26], et la société un arrangement configuré, construit à partir d’un contexte communicationnel. L’identité de ce contexte sera maintenue, par conséquent, non pas par l’“Etat”, mais simplement par des règles de communication[27]. C’est ainsi, que les constructions qui opposent la subjectivité concrète à la sociabilité serons rejetés. Günther JAKOBS affirme aussi, qu’il serait équivoque d’opposer les conditions de constitution de subjectivité aux conditions de constitution de sociabilité (“céans la liberté” versus “céans la sociabilité”), parce que la société ne peut pas survivre au fonctionnement des conditions empiriques de subjectivité[28]. La perspective de la constitution d’une société fonctionnelle, serait impensable: puisque nous ne pouvons pas objecter a priori, pour l’instauration d’un droit pénal de terreur; qui ne tient compte que du fonctionnement de l’autoconservation du système social[29]

Dans ce contexte, la «personne » entre dans un rôle à jouer, et comme l’affirme Günther JAKOBS, la “personne est le masque, qui n’est pas exactement l’expression de la subjectivité de son porteur, mais au contraire, il est la représentation d’une compétence socialement compréhensible[30]. De ce fait, la « personne » ne s’identifie pas à sa subjectivité; mais elle devient l’expression du synchronisme des expectatives sociales institutionnalisées qui se sont formés. Günther JAKOBS fait valoir aussi que, dans cette relation de “communication personnelle”, qui suppose une “communication instrumentale” présupposant une constitution établie dans la sociabilité, le monde se forme – du soi à l’autre – sur la base des normes sociales au sens strict, qui, si elles sont enfreints, représentent une prise de position dans une configuration du monde qui exonère l’autre[31]. C’est dans cette relation de normes, que se constitue la relation entre les sujets; ils sont, en réalité, un “monde objectif”. En conséquence – et à partir de ce scénario–, les sujets apparaissent comme des porteurs (ayant) des fonctions, ou des personnes. Du point de vue de la société, ils ne sont pas des personnes qui fondent la communication personnelle à partir d’eux-mêmes, mais des individus définit à travers la communication personnelle comme des personnes[32].

La construction de Günther JAKOBS, atteint ainsi sa synthèse extrême dans la phrase suivante: “les normes complexes correspondantes est ce qui constitue les critères pour définir ce qui est considéré comme une personne[33]. Aujourd’hui, la « personne » est définie comme un ensemble de normes complexes, dont les critères de définition sont imputés au pouvoir politique. Günther JAKOBS a certainement ouvert une brèche à travers laquelle s’infiltre l’état d’exception. Cette brèche est basé dans l’idée que l’“ennemi n’est pas une personne”, parce qu’il est guidé de manière totalement contrefactuelle, ce qui permet la récusation de l’application de tous ces droits[34]. Sa thèse peut être résumé ainsi: l’Etat peut procéder de deux modes avec les délinquants: il peut les voir comme des personnes qui commettent des crimes, des personnes qui ont commis une erreur, ou des individus qui doivent être empêchés de détruire l’ordre juridique, par la contrainte. Les deux perspectives sont utilisées, dans certains domaines, dans un lieu légitime, ce qui signifie qu’elles peuvent également être utilisées dans un lieu équivoque[35].

De la sorte, Günther JAKOBS, essaye d’infiltrer à travers la “déflation” d’un concept de « personne » normalisée, avec la possibilité d’instauration d’un régime d’exception, qui s’adapte au pouvoir qui doit distinguer entre celui qui doit et celui qui ne doit pas être traité comme une « personne ». Il est clair ainsi, que nous sommes devant l’anti-vision de BENJAMIN, puisque l’état d’exception devient ici la règle, dans la mesure où la distance entre la loi (les droits fondamentaux) et son application (définition qui est l’ennemi) passe seulement par une décision de la “force de loi” du souverain qui instaure, au cœur de la normalité, l’exception. Même la décision qui désigne l’individu comme une “personne” ou comme un “citoyen” passe également par l’état d’exception, qui a un effet double et, par conséquent, elle devient la règle. Ma is, dans la mesure où il existe une scission entre le droit pénal du citoyen et le droit pénal de l’ennemi, il s’instaure inexorablement une exception totale, comme toute décision autour de l’application d’une loi statuaire qui passera par le passoire du souverain, celui à qui incombe d’appliquer la loi. Et, comme le démontre bien Giorgio AGAMBEN, c’est exactement dans cette distance que s’instaure l’état d’exception.

Nous aborderons dans un premier temps l’exercice du pouvoir biopolitique, l’état d’exception et l’Homo Sacer (I), pour démontrer comment s’établit un « camp » sans limites de l’ennemi-terroriste (II).

 

  1. I.             L’exercice du pouvoir

L’état d’exception va de pair avec l’homo sacer, c’est la vie nue sur laquelle s’exerce le pouvoir biopolitique. L’Homo sacer est l’homme sacré qui est, toutefois, celui que le peuple a jugé pour un crime; il n’est pas permis de le sacrifier, mais celui qui ne sera pas condamné pour homicide (…) »[36]. De ce fait, l’ennemi, dans la mesure où il se voit dépossédé de ses droits de citoyen, devient une vie nue soumise au pouvoir du souverain. Il cesse d’appartenir à la sphère de la polis (droit pénal du citoyen) et devient un homo sacer, parce que le droit pénal de l’ennemi, est une guerre pure et simple, qui ne présuppose aucune entrave normative et une dépossession des droits du citoyen (A). L’ennemi terroriste devient un homo sacer capturé exclusivement dans sa “matabilité”(B).

 

  1. A.    La dépossession des droits de citoyen

Giorgio AGAMBEN affirme qu’il n’existe pas, chez les Grecs, un terme unique qui exprime l’idée de la « vie ».  Il y avait, au contraire, deux termes sémantiques et morphologiquement différents: la « zoé », qui exprime le simple fait de vivre en commun avec tous les êtres vivants (animaux, hommes ou dieux) et le « bios », qui indique la manière de vivre propre d’un individu ou d’un groupe[37]. Cette vie simple et naturelle est exclue du monde classique, de la « polis », appartenant au domaine privé de l’« oîkos »[38].

Tandis que, Michel FOUCAULT part de cette distinction pour résumer le processus par lequel, au début de l’ère moderne, la vie naturelle commence à être incluse dans les stratégies du pouvoir étatique, transformant ainsi la politique en biopolitique. A l’époque moderne, l’individu devient une partie intégrante des stratégies politiques à partir de son simple corps vivant, résultant une sorte d’« animalisation de l’homme » – orientée par un contrôle disciplinaire qui forme des « corps dociles » dont il a besoin. De ce fait, il devient possible tant de protéger la vie que de produire l’holocauste[39]. Il s’agit, en définitive, de l’entrée de la « zoé » dans la « polis », c'est-à-dire la politisation de la « vie nue »[40].

En identifiant cette stratégie biopolitique, Michel FOUCAULT abandonne l’approche traditionnelle de la question du pouvoir fondée en particulier sur deux modèles juridico-institutionnels en vue d’une analyse sans a priori des formes de pouvoir par lesquelles le pouvoir pénètre dans le corps même de ses sujets et des formes de vie[41]. Michel FOUCAULT, conclut par conséquent, qu’une partie essentielle du concept « normatif » de « personne » bloque le pouvoir biopolitique, qui se dirige directement vers les corps qualifiées non pas par la notion de « personne », mais par une simple « vie nue ». 

En revanche, le concept d’« homme » n’est plus un obstacle épistémologique ou moral, mais, au contraire pour Michel FOUCAULT il peut repenser le sujet à partir de sa dimension structurelle, c’est-à-dire, en thématisant particulièrement la « fonctionnalisation » du comment vivre qui se répand à partir de techniques du pouvoir qui dominent les corps. Manifestement, chez Michel FOUCAULT, nous sommes devant un dépassement de l’horizon juridico-normatif de la « personne » tel que pensé par les philosophes des Lumières vers une problématisation du pouvoir agissant sur les « corps dociles ».

Mais, Giorgio AGAMBEN considère qu’il existe une lacune dans la théorie de Michel FOUCAULT, à savoir le point d’intersection entre le concept biopolitique du pouvoir foucaldien, et les modèles juridico-institutionnels. C’est à travers ce point d’intersection que Giorgio AGAMBEN identifie, précisément, le noyau originel – quoique couvert– du pouvoir souverain. La production d’un corps biopolitique est la contribution originale du pouvoir souverain. Par conséquent, la biopolitique est plus vieille que l’état d’exception du souverain[42].

Il existe ainsi un lien étroit entre le pouvoir souverain, l’état d’exception et la « vie nue », l’« homo sacer ». C’est seulement à partir du développement de ce lien, que Giorgio AGAMBEN entend occulter, ce qui pourrait être considéré comme des contradictions surgis seulement dans le nazisme et le fascisme. La « vie nue » continue à être enfermée dans l’état d’exception, qui est, quelque chose d’inclus seulement à partir de son exclusion[43].

Le terme « homo sacer » enferme ainsi une signification ambigu, à savoir comment sanctionner la sacralité d’une personne, si son assassinat devient impunissable ? Et, de manière plus antinomique, comment “une personne susceptible d’être tuée impunément ne devrait pas être mise à mort dans les formes sanctionnées par le rite ?[44]. La structure du sacratio (figure archétypale du sacré) consiste, de la sorte, dans la conjonction de deux aspects: l’impunité du meurtre et l’exclusion du sacrifice[45]. Dans le cas de l’« homo sacer », il s’agit d’une personne placée simplement en dehors de la juridiction humaine sans passer non plus par une juridiction divine[46].

Dans ce cas, Giorgio AGAMBEN identifie une homologie structurelle entre l’état d’exception et l’« homo sacer », une structure topologique qui est celle de la double exclusion et de la double capture. Ainsi, comme dans l’exception souveraine de la loi qui s’applique où ne s’applique pas du même mode de l’« homo sacer » appartenant à Dieu dans sa figure d’insacrificabilité, il devient inclus dans la communauté sous forme de meurtre licite, cette « vie insacrifiable exposée au meurtre licite, est la vie sacrée »[47].

De cette manière, Giorgio AGAMBEN décrit les caractéristiques fondamentales de la condition de l’« homo sacer », premièrement tout ce qui définit la condition de l’« homo sacer », deuxièmement, tout ce qui n’est pas cette ambivalence originaire de la sacralité présumée, inhérente à l’« homo sacer », surtout quand elles s’exposent au caractère particulier de la double exclusion dans laquelle est inscrite la violence. Cette violence– la mort insanctionnable que chacun peut commettre en relation avec lui-même– n’est pas classifiable ni comme un sacrifice, un homicide, l’exécution d’une condamnation, ou un sacrilège. S’ouvre ainsi une sphère de l’action humaine qui n’est ni un sacrum facere ni une action profane, soustraite aux formes sanctionnant la violation des droits de l’homme et des lois divines [48].

La condition de l’« homo sacer » présente ainsi, une figure originaire de la vie enfermée dans le champ souverain, établissant la constitution fondamentale de la sphère du politique. Ce serait, précisément, l’espace du politique, qui peut être synthétisée dans la réflexion suivante: « on dira souveraine la sphère dans laquelle on peut tuer sans commettre d’homicide et sans célébrer un sacrifice ; et sacrée, s’est-à-dire exposée au meurtre et insacrifiable, la vie qui a été capturée dans cette sphère. »[49]. La production de la « vie nue » – une vie exposée à la mort – devient par conséquent la contribution fondamentale du pouvoir souverain, la pierre angulaire de la politique.

Giorgio AGAMBEN, identifie ainsi un lien politique plus vieux que l’idée même du contrat social ou d’une norme positive. Ce lien politique est en étroite relation avec le souverain qui s’exprime sous forme d’une dissolution ou d’une exception, identifiant une trace fondamentale de l’élément politique originaire. Parce que la vie humaine se politise à partir de son renoncement au profit d’un pouvoir inconditionnel de mort[50]. Le juif durant la période du nazisme était le référent négatif privilégié de la nouvelle souveraineté biopolitique et, en tant que tel, il était un cas flagrant d’« homo sacer », dans le sens où il était une vie matable et insacrifiable. De son sacrifice s’est constitué en réalité, une espèce de peine capitale ou de sacrifice pure réalisant une sorte de matabilité inhérente à la condition du juif en tant que tel. Selon Giorgio AGAMBEN, bien qu’il était très difficile aux victimes de l’admettre, les juifs n’ont pas été exterminés au cours d’un gigantesque « holocauste », mais, comme l’a annoncé Hitler, ils étaient exterminés comme « des poux », ou, comme des « vies nues ». La dimension et l’ampleur des exterminations était biopolitique[51].

 

B. L’ennemi terroriste

Il est évident, que le concept normatif de « personne » de Günther JAKOBS est aussi capable d’apporter un nouvel horizon pour que la violence de la capture de l’homo sacer se produise et se légitime au moyen de l’état d’exception[52]. On constate, cependant, qu’on ne peut pas seulement « sacrifier », mais surtout « tuer ». De facto, puisque le droit pénal de l’ennemi, se vide de tout contenu ontologique de la notion de « personne », il retire de la sphère juridique une parcelle du pouvoir punitif, tandis que les critères de sélection du souverain, multiplient la production de « l’homo sacer ». Il ne s’agit pas de proposer un durcissement des procédures punitives de l’Etat pour ceux qui représentent un danger exceptionnel à la communauté, mais sans les exclure de l’ordre juridique[53], les rendant ainsi « matables » à travers une guerre.

Bien plus, dans la mesure où le souverain possède le pouvoir de définir, normativement celui qui est et celui qui n’est pas une « personne », tous les citoyens sont aussitôt placés dans la condition d’« homo sacer ». Le même raisonnement appliqué à l’état d’exception est reproduit ici : quand l’état est d’exception pour certains, il l’est pour tous, parce que l’Etat de droit ne s’anticipe pas toujours. De même, quand la condition « d’homo sacer » est dépouillée de la figure de « personne » et exposé dans sa « vie nue », au souverain, tous les autres tombent dans la même condition, puisqu’il n’y a pas de garantie pour qu’ils ne soient considérés comme des ennemis. L’exposition de la « personne » au souverain même si elle est « masquée » initialement par la condition originaire de « personne » , elle sera retirée dans des circonstances particulières (selon Günther JAKOBS, dans le cas d’une « personnalité contrefactuelle »). Le citoyen demeure en permanence en proie au droit pénal de l’ennemi.

Le droit pénal de l’ennemi semble être un élément fondamental qui invalide toute proposition – qui de toutes les manières, serait inacceptable – et consistant en une « atténuation des préjudices », un moindre mal. Mais, il est impossible de séparer au préalable les ennemis des citoyens. Cependant, tous sont en proie et à la portée de ce droit pénal sans limites. Ainsi, la protection normative de la « personne » devient une fiction, puisque tous les citoyens sont exposés d’avance, dans leur « vie nue ».

La protection normative de la « personne »– ces droits fondamentaux – élide du pouvoir punitif toute considération de tous les citoyens dans leur « vie nue ». Mais, si dans la pulsation de la réalité concrète, les droits fondamentaux sont effectivement violés, il se constitue un état d’urgence qui pousse au cœur de la normalité institutionnelle, avec l’introduction – dans le champ normatif – d’une ouverture dont le pouvoir punitif ne peut produire aucun effet de réduction des préjudices, mais permet inexorablement la multiplication du nombre d’interventions qui ne font que réduire l’être humain à la condition « d’homo sacer ». Toutefois, si – comme le démontre Giorgio AGAMBEN – le droit en soi souffre d’un problème de distance entre la loi et la force de loi, ouvrant un espace à l’exception qui conduit à la mise en place de la « vie nue », créant un intervalle explicite normativement signifiant, celui de sceller l’extension illimitée de cette exposition, et le bouleversement des quelques barrières que l’Etat de droit offre à la protection de l’individu contre le pouvoir souverain[54].

 

II. Le « camp » de l’ennemi-terroriste

Le troisième axe des recherches de Giorgio AGAMBEN – au sujet de l’état d’exception et de « l’homo sacer » – est le concept du « camp » comme paradigme biopolitique moderne (A). Mais force est de constater que la théorie du droit pénal de l’ennemi qui couvre la « vue nue » de l’ennemi terroriste sous-tend aujourd’hui fortement les mutations du droit français et ses conflits (B).

A. Le concept du « camp »

Giorgio AGAMBEN invoque Michel FOUCAULT quand il cherche à rendre compte des « processus de subjectivation » qui dans le passage du monde ancien au monde moderne, conduisent l’individu à objectiver son propre moi et se constitue comme sujet, s’exposant en même temps à un contrôle externe. D’abord, Michel FOUCAULT a toujours cherché à procéder à ces « excavations » qui sont le lieu par excellence de la biopolitique moderne: la politique des Etats totalitaires. Ensuite, Hannah ARENDT, bien qu’elle a réalisée des considérations significatives sur le totalitarisme après la seconde Guerre mondiale, elle s’est heurtée à la limite qui empêche de relever une perspective biopolitique. Quoi qu’elle ait perçu le lien entre le totalitarisme et la condition de la vie du « camp », Hannah ARENDT a laissé échapper le processus inverse, à savoir, la transformation radicale de la politique dans l’espace de la « vie nue ». Selon Giorgio AGAMBEN, c’est parce que la politique, à notre époque, s’est entièrement transformée en biopolitique qu’elle est devenue une politique totalitaire[55].

Giorgio AGAMBEN identifie dans ce qu’il appelle la “rivière de la biopolitique” une sorte de double face: les espaces des libertés et des droits que les individus acquièrent face au pouvoir central qui les aménage, mais avec une inscription tacite et croissante de leurs vies dans l’ordre étatique, offrant paradoxalement une instance nouvelle et plus redoutable au pouvoir souverain qui prétend les libérer[56]. Le paradoxe dans un sens, peut consister dans une explication intéressante du fait que les stratégies émancipatrices finissent généralement par devenir répressives. A chaque « protection » accordée par l’Etat, l’individu voit s’élargir la tutelle – et par conséquent l’exposition de sa vie – au pouvoir souverain.

Dans la vie moderne, les limites qui séparent la décision du souverain sur la vie et sur la mort – ou, en d’autres termes, la biopolitique de la « thanato politique » – ne se présentent pas comme une régularité qui divise des secteurs absolument différents, mais, ces limites sont constamment déplacées vers des zones de plus en plus larges de la vie sociale, dans lesquels il y a une symbiose du souverain non seulement avec le juriste, mais également avec le médecin, le prêtre ou le scientifique. Le « camp », dans ce contexte, surgit comme un paradigme occulte de l’espace biopolitique de la modernité[57].

L’habeas corpus est une expression de ce mécanisme ambivalent qui reconnaît à l’individu une limitation du pouvoir et, simultanément, augmente l’exposition de sa « vie nue ». L’habeas corpus a surgit en 1679, mais, l’origine il existe déjà au XIIIe siècle, lorsque, pour assurer la présence physique d’une personne devant un tribunal, on ne prend pas en considération le sujet du fait de ces relations féodales, ni de son statut de futur « citoyen », mais dans un « corpus » pur et simple. Le nouveau sujet de la politique devient le « corpus ». La démocratie moderne est née justement comme une revendication et une exposition de ce corps au souverain. Dans sa lutte contre l’absolutisme, le citoyen place son corps non pas dans le « bios » – la vie du citoyen –, mais dans la « zoé », c'est-à-dire une « vie nue » vécue dans l’anonymat, capturés par le souverain[58]. C’est de cette tension qu’émerge « l’homo sacer » de nouveau comme une force et, en même temps comme une contradiction particulière de la démocratie moderne, qui ne fait pas abolir la « vie sacré », mais la brise et la dissémine dans chaque corps individuel, faisant de la « vie sacré » un pari dans les jeux des conflits politiques[59]. Le « corpus », devient enfin une double face: autant pour le porteur de la soumission au pouvoir souverain que de ces libertés individuelles. Cet étrange paradoxe est ce qui permet, par exemple la passage de la démocratie parlementaire à un état nazi. La reconnaissance des libertés individuelles porte aussi un sens, celui d’étendre le domaine du pouvoir souverain à la vie nue.

Partant des affirmations d’Hannah ARENDT, Giorgio AGAMBEN souligne que les droits fondamentaux se sont révélés dépourvus de toute protection, surtout quand ils se sont confrontés à des situations d’impossible concrétisation de ces droits du citoyen dans un Etat de droit[60]. Il est, par conséquent temps de croire que la conception de ces droits constitue une sorte de valeur intemporelle et métajuridique, liant le législateur à sa réelle condition historique dans la formation de l’Etat-nation moderne. La « vie nue » qui a été jusque là indifférente à la formation de ces Etats, parce qu’elle appartenait uniquement à Dieu, mais aujourd’hui elle est inscrite dans l’ordre juridico-politique, devenant le fondement de la souveraineté. Elle constitue le moment de passage de la souveraineté de l’ordre divin à la souveraineté nationale. Giorgio AGAMBEN confirme à nouveau le paradoxe, la reconnaissance du statut du citoyen ou du sujet signifie que la « vie nue » est inscrite dans l’ordre politique comme émissaire de la souveraineté. C’est seulement à partir de la compréhension des modèles étatiques modernes des XIXe et XXe à l’égard de la « vie nue » que nous pourrons saisir la portée exacte de la controverse, abandonnant ainsi le fondement de ce qu’est le « sujet politique libre et conscient »[61].

Une des caractéristiques essentielles de la biopolitique moderne est la nécessité de redéfinir les limites qui existent entre la vie et ce qui se trouve en dehors d’elle. Cette ligne est en permanence redessinée, parce que dans la « zoé » les déclarations des droits politisées, doivent à nouveau redéfinir les seuils qui permettent d’isoler la « vie sacré »[62].

Le statut de réfugié décrit par Hannah ARENDT est la première apparition moderne de l’« homme sans masque », c’est-à-dire, de l’« homo sacer »[63]. Comme l’affirme Giorgio AGAMBEN en exposant en pleine lumière l’écart entre la naissance et la nation, le réfugié fait apparaître un court instant, sur la scène politique, cette vie nue qui en constitue le présupposé secret. En ce sens, comme le suggère Arendt, il est vraiment ‘l’homme des droits’, sa première et unique apparition réelle sans le masque du citoyen qui le recouvre constamment. Mais, c’est précisément pour cela que sa figure est si difficile à définir politiquement. »[64].

Il s’agit d’une constatation qui s’est tenu fortement tout au long d’Eichmann à Jérusalem, quand elle devient clairement la première étape nécessaire pour initier le processus d’extermination des juifs celle d’éliminer leur citoyenneté. La condition d’apatride exposait les juifs à tout dans la qualité de leurs « vies nues ». Cette qualité peut être détectée dans la séparation entre l’« humanitaire » et le « politique », ce qui met en évidence la séparation entre les droits de l’homme et les droits du citoyen. L’humanitaire est le réflexe de la reconnaissance de la « vie sacré » et le « camp » qui est l’espace pure de l’exception.

Le « camp » est devenu selon Giorgio AGAMBEN la matrice cachée, le « nomos » de l’espace politique dans lequel nous vivons encore[65]. Les « camps » naissent non pas du droit ordinaire (et encore moins, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, d’une transformation et d’un développement du droit carcéral), mais de l’état d’exception et de la loi martiale[66]. C’est l’espace qui s’ouvre lorsque l’état d’exception commence à devenir la règle[67], dans la mesure où il acquiert un caractère de normalité, une dimension spatiale, bien qu’il soit inscrit constamment en dehors de l’ordre juridique normal[68].

Le « camp » possède une structure paradoxale, il est l’espace d’un territoire qui est situé en dehors de la sphère juridique normale, bien qu’il n’est pas pour autant un simple espace extérieur[69]. Giorgio AGAMBEN ajoute que ce qui s’en trouve exclu est, selon la signification étymologique du terme, pris dehors, inclus à travers sa propre exclusion. Mais ce qui, de cette façon, est avant tout capturé dans l’ordre juridique est l’état d’exception lui-même. En tant que l’état d’exception est “voulu”, il inaugure un nouveau paradigme juridico-politique dans lequel la norme devient indiscernable de l’exception. Le camp, autrement dit, est la structure dans laquelle l’état d’exception, dont la décision fonde le pouvoir souverain, est réalisé normalement[70].

Dans ce scénario, non seulement la loi est suspendu, mais il devient impossible de discerner entre fait et droit. Les deux se confondent, de sorte que « tout est possible », une fois que les individus perdent le statut de citoyen et sont réduits à la condition de l’« homo sacer ». « Le camp est un hybride de droit et de fait, dans lequel ces deux termes sont devenus indiscernables »[71], il est l’espace biopolitique le plus absolu, où le pouvoir n’a plus en face de lui que la vie dans l’état pur, sans aucune médiation[72]. Il s’agit par conséquent, d’une sorte de « spatialisation » de l’état d’exception, dans laquelle tout citoyen se voit réduit à la condition d’« homo sacer ».

B. Le concrétisation du droit pénal de l’ennemi

Nous pouvons déduire aujourd’hui, malgré l’extrémisme des considérations que nous avons déjà développés plus haut, que le « camp » comme un paradigme biopolitique signifie un espace absolu d’exception, une frontière entre le droit et le fait qui se confondent et dont tout est possible. La notion de « camp » semble nous replacer aux seuls écrits d’Hannah ARENDT, mais aussi à la vision de la « société de contrôle » conçue par Gilles DELEUSE. Gilles DELEUSE affirme, en opposition avec Michel FOUCAULT, que le contrôle ne s’exerce plus de manière disciplinaire et à partir du confinement, mais il se réalise de manière ouverte et continue, produisant une modulation universelle. Il n’est plus lié à un espace clôturé, la fabrique, l’école, le couvent, la prison ou l’hôpital psychiatrique. Sa structure spatiale est aujourd’hui un nouveau régime de contrôle, qui se produit dans une « éducation continue », dans une nouvelle médecine « sans médecin ni patient », avec l’introduction de la notion d’« entreprise » dans l’éducation fondamentale, etc. L’homme n’est plus cet « individu confiné », mais un « individu endetté ». L’homme de la discipline est un « producteur d’énergie discontinue », tandis que l’homme du contrôle est un être ondulatoire, qui fonctionne circulairement dans un faisceau continu, dont le contrôle est exercé à ciel ouvert et le modèle est une base de données[73].

C’est ainsi que dans le droit pénal de l’ennemi ce « camp » couvre tout, dans la mesure où tous les citoyens sont exposés à la « vie nue » devant le pouvoir punitif de l’Etat. Le « camp » s’identifie avec la totalité politique elle-même. Le seuil qui sépare le citoyen de l’ennemi est en pondération permanente avec le pouvoir souverain, dont la fonction est de « maintenir l’ordre » ou d’« éliminer le danger ».

Le risque de la concrétisation du droit pénal de l’ennemi signifie, par conséquent, que la possibilité de transformer l’ensemble de la société en un grand « camp » biopolitique est ouverte [74], et dans laquelle le pouvoir punitif peut disposer de tous ceux qui sont considérés comme des « ayants une personnalité contrefactuelle ». Cela signifie la possibilité d’étendre l’entrée de la « zoé » dans l’horizon politique jusqu’à la limite maximale, inscrivent l’état d’exception lui-même dans l’ordre juridique de manière définitive et inexorable.

La capture des individus dans leur « vie nue » est déjà une réalité, à mesure que, comme déjà noté il existe un état d’exception qui opère de manière cachée au cœur de l’ordre juridique, à travers des notions comme la « dangerosité » ou la « conduite sociale ». Mais, la nouveauté du droit pénal de l’ennemi est la légitimation juridique de ces mécanismes[75], ouvrant la possibilité de « spatialisation » de l’exception dans un grand « camp », qui couvrirait la totalité des relations sociales.

Mais, si nous partons du présupposé que la proposition d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution est seulement pour faire face aux risques terroristes auquel est confrontée la France. Mais,notons d’abord, que lestrois éléments qui composent les axes de la thèse de Giorgio AGAMBEN, c'est-à-dire, l’état d’exception, l’« homo sacer » et le « camp » sont répercutés dans le concept du droit pénal de l’ennemi. Ensuite la conception normative de « personne » a acquis une limite significative, puisqu’elle ne peut pas rapporter un argument convaincant contre le surgissement de la « vie nue » et de son exposition au pouvoir souverain. Enfin, du point de vue de Günther JAKOBS, la théorie garde en elle-même une sorte de cohérence qui passe à côté des tous les problèmes qui suscitent un surcroît de discernement[76].

Les trois éléments identifient initialement la possibilité d’une expansion illimitée du droit pénal de l’ennemi, dans la mesure où constitutionnellement, ils n’offrent pas n’importe quelles limites, mais visent exactement l’opposé : rompre les limites[77]. Partant du point de vue de Giorgio AGAMBEN, nous pouvons ainsi admettre que le discours juridique rencontre des difficultés face à l’état d’exception, parce que cela agit exactement sans limite, et le juridique et le politique se croissent pour constituer ainsi le pouvoir souverain[78].

Si nous adhérons davantage à la perspective de Giorgio AGAMBEN, la reconnaissance du « masque » de « personne » qui couvre la « vie nue » serait l’effet réflexe d’un élargissement encore plus large de la marge de la soumission au pouvoir souverain. L’extension des droits fondamentaux provoque une expansion paradoxale de l’exposition de la « vie nue » au pouvoir souverain. Ce fait, cependant, ne signifie pas que le droit pénal de l’ennemi soit inévitable. Bien que le droit pénal de l’ennemi ne s’installe pas dans les « fissures » de l’Etat de droit, de manière subreptice, à partir d’une normativisation du concept de « personne », il est possible de penser que la dérive de cette forme de rationalité est capable de décrire la réalité telle que l’a fait Günther JAKOBS.

Alors si nous pouvons récupérer la matrice éthique du concept de « personne »[79], à partir d’une déconstruction effectuée de la théorie de Günther JAKOBS. Ainsi, le droit pénal de l’ennemi peut s’écrouler depuis ses fondements et il sera possible de concevoir, à partir d’une autre matrice, un concept fondamental de « personne ». De la sorte, nous sommes tentés de nous orienter vers l’« exceptionnalité du concret » sur laquelle cette exception s’exerce.



[1] SCHMITT (Carl), Politische Theologie, 1992,. Trad. J.-L. Schlegel, Théologie politique, Paris, éd. Gallimard. 2000., p. 39.

[2] AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1. Traduit de l’italien par Joël GAYRAUD. Paris., éd. Seuil, 2003, p. 22., In BENJAMIN (Walter), Über den Begrieff der Geschichte, in Gesammelte Schriften, vol I. 2 (trad. Fr. par M. Gandillac revue par P. Rusch, Sur le concept d’histoire, in Œuvre, Paris, Gallimard, « Folio », 2000, t. III., p. 314.

[3] BENJAMIN (Walter), Sur le concept d’histoire, in Œuvres III, Paris., éd. Gallimard. 2000 [1940].

[4] Voir. Günther (JAKOBS), Bürgerstrafrecht und Feindstrafrecht, in. Foundations and limits of Criminal Law and Criminal Procedure, Hrsg. 2003., p. 41-61.

[5] Voir. Günther (JAKOBS), Terroristen als Personen im Recht ?( Zeitschrift für die Gesamte Strafrechtswissenschaft; ZStW), volume 117, p. 839-851.

[6] AGAMBEN (Giorgio), De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité. Le Monde, 23 décembre 2015., disponible In. http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/23/de-l-etat-de-droit-a-l-etat-de-securite_4836816_3232.html. Consulté le 24 décembre 2015.

[7] « L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ; 2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ; 3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ; 4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »

[8] « La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition. Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits. Si les faits reprochés à l'intéressé sont visés au 1° de l'article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans. »

[9] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité.

[10] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité.

[11] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité.

[12] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité.

[13] Op. Cit. BENJAMIN (Walter), Sur le concept d’histoire.

[14] AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1. Traduit de l’italien par Joël GAYRAUD. Paris., éd. Seuil, 2003, p. 18.

[15] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., p. 13. Voir aussi AGAMBEN (Giorgio). Bodies without words: against the biopolitical tatoo. Disponible in: http://www.germanlawjournal.com/print.php?id=371 . Consulté le 19.12. 2015.

[16] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., p. 12.

[17] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., p. 25.

[18] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., p. 43.

[19]Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., p. 55.

[20] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., pp. 60-61.

[21] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., pp. 60-61.

[22] Voir DERRIDA (Jacques), Force de loi - le « Fondement mystique de l'autorité », éd : Galilée, 1994, pp. 24-28.

[23] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., p. 66-67.

[24] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., pp. 66-67.

[25] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Etat d’Exception. Homo Sacer, II, 1., pp. 66-67.

[26] Il existe une parallèle étonnante dans le principe de limitation du concept normatif de « personne » dans la relecture kantienne effectuée par Jürgen Habermas pour rendre compte des problèmes suscités par la biopolitique contemporaine, voir à cet effet PONTIN (Fabrício), Biopolítica, Eugenia e Ética: uma análise dos limites da intervenção genética em Jonas, Habermas, Foucault et Agamben. 2006., pp. 52-57.

[27] JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., éd. Duncker & Humblot- Berlin., 2ème édition., 1999.

[28] JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., pp. 14-15.

[29] Op. Cit. JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., p. 20. 

[30] Op. Cit. JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., p. 30. 

[31] Op. Cit. JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., p. 54. 

[32] Op. Cit. JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., pp. 55-56.

[33] Op. Cit. JAKOBS (Günther), Norm, Person, Gesellschaft, Vorüberlegungen zu einer Rechtsphilosophie, Dritte, erheblich veränderte Auflage., p. 57.

[34]Op. Cit. JAKOBS (Günther), Bürgerstrafrecht und Feindstrafrecht, in: Foundations and limits of Criminal Law and Criminal Procedure-An Anthology in Memory of Profesor Fu-Tseng Hung,. Hrsg., Taipei, 2003, p 41-61, Voir aussi JAKOBS (Günther), Direito Penal do Inimigo. Trad. Gercélia Batista de Oliveira Mendes; Rio de Janeiro, éd. Lumen Juris, 2008.

[35] Op. Cit. JAKOBS (Günther), Bürgerstrafrecht und Feindstrafrecht, pp. 41-61.

[36] AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, Traduit de l’italien par Marilène Raiola., éd. Seuil. Paris., p. 81. 1997.

[37] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 9.

[38] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 10. 

[39] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 11.

[40] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 12.

[41] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, pp. 12-13. 

[42] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 14.

[43] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 18. 

[44] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 82.

[45] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 89.

[46] Op. Cit.AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, pp. 91-92.

[47] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 92.

[48] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 92.

[49] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 93. 

[50] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 98.

[51] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 121. 

[52] Concernant la structure paradoxale du droit pénal de l’ennemi, voir RESTA (Federica), Enemigos y criminales. Las lógicas del control. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, p. 735.

[53] Cette observation, diffère du droit pénal de l’ennemi et des mouvements de Loi et Ordre en général. Voir à cet effet. HARCOURT (Bernard), The Illusion of Free Markets : Punishment and the Myth of Natural Order, Harvard UP, 2011, 336 p.

[54] En effet, c’est dans ce petit intervalle que le discours garantiste devient efficace. Antérieurement à l’état d’exception qui s’applique dans l’intervalle qui existe entre la loi et la force de loi, il y a un petit espace pour le discours juridique afin qu’il devienne effectif comme pour la protection de la « vie nue », laquelle, cependant, ne doit pas admettre, sous peine d’une expansion plus grande sa soumission au pouvoir souverain. C’est pour cette raison que l’option qui à travers un discours métajuridique peut faire face à la problématique de l’exception à partir de l’« exceptionnalité du concret ». Par discours garantiste nous entendons « le droit est un univers linguistique artificiel qui peut permettre grâce à la stipulation et à l’observance des techniques appropriés de formulation et d’application des lois aux faits juridiques, des fondements des jugements dans les décisions sur la vérité juridique, validée ou invalidée en tant que telle, à travers des contrôles logiques et empiriques et, par conséquent, se soustrayant autant que possible à l’erreur et à l’arbitraire. Le problème du garantisme pénal est d’élaborer ces techniques sur un plan théorique, pour qu’elles deviennent contraignantes sur un plan normatif et assurer leurs effectivités sur un plan pratique ». In. FERRAJOLI (Luigi), Direito e RazãoTeoria do Garantismo Penal. (Préface de BOBBIO (Norberto)). Guis., éd. Laterza & Figli, 2002, p. 44.

[55] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, pp. 125.

[56] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 127.

[57] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, pp. 129-130. 

[58] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, pp. 130-131.

[59] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 131.

[60] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 135.

[61] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, pp. 134-135.

[62] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 138. 

[63] Voir ARENDT (Hannah), Le déclin de l’Etat-nation et la fin des droits de l’homme, in Les origines du totalitarisme, Deuxième partie (1951), trad. M. Leiris, révisée par Hélène FRAPPAT, Paris, Gallimard, Quarto, 2002.

[64] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 143.

[65] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 180.

[66] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 181.

[67] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 183.

[68] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 184.

[69] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 185.

[70] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 184. 

[71] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 184. 

[72] Op. Cit. AGAMBEN (Giorgio), Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, p. 185.

[73] DELEUZE (Gilles), post-scriptum sur les sociétés de contrôle, disponible sur : https://infokiosques.net/spip.php?article214, consulté le 30 janvier 2015. Bien que Foucault se soit référé à la discipline comme un élément prépondérant, mais il a toujours souligné une « dispersion » spécifique, ce qui le rapproche de la thèse de Deleuze. Voir à cet égard HUDSON (Barbara A), Social  Control.  In: The Oxford  Handbook of  Criminology. 2e éd. Edited by Mike Maguire et alii. Oxford: Oxford University Press, 1997, p. 458.

[74] Concernant aussi le camp et le droit pénal de l’ennemi, voir MUÑOZ CONDE (Francisco), De nuevo  sobre el « Derecho penal del enemigo ». In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, pp. 357-358.

[75] Par conséquent, si nous considérons le droit pénal de l’ennemi comme un phénomène d’exception, nous sommes confrontés à une discussion concernant ce qui constitue ou non un “droit pénal”. Le droit pénal de l’ennemi est considéré comme une sorte de « réponse de fait » de l’Etat, comme l’a bien souligné Agamben. L’objectif de cette déviation est d’élaborer une contraposition de la biopolitique de l’ennemi qui, indépendamment de sa reconnaissance dans un système fermé, il imprègne l’action des entreprises criminelles. Voir. MELIÁ (Manuel Cancio), “Direito Penal” do Inimigo?. In: Droit pénal de l’ennemi, pp. 66-81; SCHEERER (Sebastian).

[76] Cependant, de nombreux auteurs ont identifiés une circularité dans l’argumentation de Günther Jakobs, comme par exemple GROSSO GARCÍA (Manuel Salvador).,¿Qué es y que puede ser el “Derecho penal del enemigo”. In . Droit pénal de l’ennemi, v. 2,  p. 9.

[77] C’est précisément à cause de cet argument que nous nous sommes éloignés de toutes les propositions de régulations de l’état d’exception (ou plus précisément du droit pénal de l’ennemi) dans un champ juridique, partant de la fausse prémisse qu’il est possible de contrôler cette exception par le droit. Voir GÓMEZ-JARA DÍEZ (Carlos), Normatividad del ciudadano versus facticidade del enemigo. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 1, pp. 977-1002. Le droit pénal, plutôt qu’un bon instrument apte pour atteindre quelques objectifs sociaux, doit être considéré comme un appareil qui, si bien qu’il soit inévitable, doit être traité avec méfiance et soins, parce qu’il est extrêmement violent, malchanceux et incitateur d’abus. In. PASTOR (Daniel R), El Derecho penal del enemigo em el espejo del poder punitivo internacional. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, p. 503. L’idée que l’Etat de droit est une digue de l’Etat de police se reflète aussi parfaitement dans notre perception, voir à cet égard ZAFFARONI (Eugenio Raúl), BATISTA (Nilo); ALAGIA (Alejandro) & SLOKAR (Alejandro), Direito Penal Brasileiro. 2e éd. Rio de Janeiro., éd. Revan, 2003, pp. 92-101. “Le droit pénal de l’ennemi est la règle, et cette règle a été utilisé aussi depuis les origines pour la même finalité: la répression ou l’élimination des politiques internes contraires ou certaines parties de la population qui sont considérés comme indésirables ou « sacrifiables ». voir SCHEERER (Sebastian); BÖHM, (Maria Laura) & VÍQUEZ (Karolina), Seis preguntas y cinco respuestas sobre el Derecho penal del enemigo. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, p. 923. 

[78] Partant aussi du présupposé que le droit pénal de l’ennemi est un locus (lieu) parallèle au droit ordinaire, « formalise » l’état d’exception, in. CORNACCHIA (Luigi), La Moderna Hostis Iudicatio – entre norma y estado de excepción. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 1, pp. 415-456; MÜSSIG (Bernd), Derecho penal del enemigo: concepto y fatídico presagio. Certaines thèses. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, p. 383; PASTOR (Daniel R), El Derecho penal del enemigo em el espejo del poder punitivo internacional. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, p. 513. Günther JAKOBS lui-même suggère cette approche dans, ¿Terroristas como personas en Derecho? I(Zeitschrift für die Gesamte Strafrechtswissenschaft. ZStW), volume 117, issue 4, pp. 839-85. 2005. “Ces choses appartiennent à l’état d’exception et au droit pénal de l’ennemi ».

[79] Il s’agit de l’option même d’une « forme de rationalité » adoptée. Mais, il serait aussi possible, par exemple, de penser un concept ontologique de « personne » ayant une forme de limitation des pressions biopolitiques dérivées du pouvoir souverain. C’est à partir de l’idée d’une autre « forme de rationalité » que nous pouvons qualifier d’« ingénus » ontologiques sociologisant tel que Niklas Luhmann (et, par conséquent Günther Jakobs), une fois qu’ils croient échapper à la réalité dans ses schémas cognitifs abstraits. C’est à partir de cet argument, externe et interne, que les formulations apparemment cohérentes telles que celles de PIÑA ROCHEFORT (Juan Ignacio) apportent des réponses in. La contrucción del “enemigo” yu la reconfiguración de la “persona”. Aspectos del proceso de formación de una estructura social. In: Droit pénal de l’ennemi, v. 2, pp. 581-590.

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Ahlem Hannachi - Docteur en droit
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